Treizième News Letter, y a-t-il un risque à la lire ?
Vous avez sous vos yeux la treizième News Letter Coubèche, et peut-être quelques-uns parmi vous ne pourront contenir un frisson leur remonter l’échine à l’évocation de ce chiffre qui trimballe avec lui (et malgré lui) une bien mauvaise réputation. Au-delà du fameux « Vendredi 13 », dont le dernier en date en Novembre 2015 a corroboré les allégations que certains lui prêtent, le chiffre 13 est la cible de nombreuses légendes.
Le « Vendredi 13 » dont il y en a un au minimum chaque année, est perçu par bon nombre comme un jour de malheur et la phobie qu’il engendre se nomme -attention, ça pique les yeux- la « paraskevidécatriaphobie » (amis du scrabble enregistrez bien ce mot). A l’inverse certains, notamment les sociétés de jeux d’argent, ont pris pour parti d’en faire un jour de chance, et c’est incontestablement le jour de l’année où l’on enregistre le plus de participation aux loteries nationales et autres paris. Faut-il y voir une preuve de la fameuse théorie binaire qui scinde l’Humanité en deux avec « ceux qui voient le verre à moitié plein et ceux qui voient le verre à moitié vide » ? Quoiqu’il en soit ce « Vendredi 13 » n’a pas attendu la sortie en salles du film d’horreur des années 80’s du même nom pour imprimer sa marque sur les esprits superstitieux. Bien au contraire il trouve son origine dans les écrits bibliques. La Cène, le dernier repas du Christ, s’est tenue la veille du vendredi 13 Nissan (premier mois -de 30 jours- de l’année ecclésiastique juive) si l’on se fie à l’Évangile selon Saint Jean, avec treize convives, dont Judas le traître et treizième homme. De ce banquet qui mènera au martyr du Christ, découle une autre superstition bien ancrée en Occident et dans l’art de recevoir, celle de ne jamais être treize dîneurs à table lors d’un festin partagé.
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Concernant le chiffre 13, ça ne s’arrête pas à la journée du Vendredi en matière de superstition. Ainsi dans les ascenseurs de nos amis américains il arrive régulièrement que l’on passe directement du douzième étage au quatorzième ! Vivre au treizième niveau serait un mauvais présage donc on le supprime tout simplement, même si bien entendu, le dénommé « quatorzième étage » est en réalité le treizième (quand on connaît le prix de l’immobilier dans les grandes villes, on ne se permet pas de laisser des appartements vacants à cause d’une superstition, bien ancrée ou pas). Cette croyance aura au moins permis de donner son nom à l’un des précurseurs et excellent groupe de rock psychédélique américain des années 60’s : The Thirteenth Floor Elevator !
Les ascenseurs ont définitivement la vie dure avec les superstitions, ainsi en Chine et au Japon le chiffre 4 n’est pas en odeur de sainteté non plus, car sa prononciation est similaire à celle du mot « mort ». Cette tétraphobie (ou l’aversion du chiffre 4) touche également les nombres dans lequel apparaît un 4 : 14, 24, 42, etc. Et quand certains grands hôtels de Shanghaï font également disparaître le nombre 13 pour satisfaire les croyances de leur clientèle occidentale on se retrouve avec un ascenseur pour le moins « étrange »…
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En Extrême-Orient, les chiffres dictent leur loi
L’Asie est un continent où les superstitions sont légions et les chiffres y jouent un rôle prépondérant entre ceux que l’on craint, le 4 cité plus haut, et ceux que l’on vénère, le 8, notamment. En Chine ce chiffre, dont la prononciation se rapproche de celle du mot « fortune», inonde les numéros de téléphones portables, les plaques minéralogiques et a permis à la Chine de terminer première nation au tableau des médailles de ses jeux olympiques de Pékin, lancés le 08 Août 2008 (08/08/2008) à 08h08 ! Cette date ne fut évidemment pas choisie par hasard pour augurer d’un succès sportif planétaire, unique fois où la Chine a devancé toutes les autres nations sur le podium final.
Cependant sur les marchés boursiers, le chiffre 8 n’amène pas toujours la prospérité, au contraire. Une étude a mesuré la force des superstitions des traders taïwanais en utilisant la régularité à laquelle ils choisissaient les prix finissant par huit, et la rigueur qu’ils mettaient à éviter les prix finissant par quatre. Les investisseurs publics et les étrangers ne suivent généralement pas ces schémas. Les locaux, cependant, avaient plus de 50% de chances supplémentaires d’acheter une action finissant par 8 qu’une action finissant par 4. Ce manque de rationalité coûte de l’argent : les retours quotidiens du quintile le plus superstitieux est de 0,03% plus bas que celui de ceux qui ne recherchaient pas spécifiquement une action finissant par huit. Ceci équivaut à une perte annuelle de (coïncidence amusante) 8,8 %, d’après les calculs de The Economist.
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Mais dans le domaine du superstitieux il n’y a pas que la numérologie ni les chiffres qui entrent en jeu et si l’on fait un panorama mondial des petites croyances du quotidien, on se rend vite compte que l’imagination des hommes n’a vraiment aucune limite et qu’elle aime mettre à mal le plus élémentaire soupçon de raisonnement. Tout d’abord aux mécréants qui auraient tendance à voir dans les religions monothéistes les épicentres du superstitieux, sachez que ces dernières ont toujours réprouvé la superstition car « il est interdit d’honorer d’autres dieux que l’unique » et qu’elles jugent la superstition comme « un excès pervers de religion » qui risque d’attribuer « une importance en quelque sorte magique à certaines pratiques, par ailleurs légitimes ou nécessaires ». De plus le terme de superstition désigne une croyance ou pratique considérée isolément (et souvent géographiquement), qui ne peut se rattacher, dogmatiquement, à une religion. La frontière est donc bien tracée entre le sacré spirituel et le superstitieux.
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De l’animisme au superstitieux
En Afrique les superstitions sont au cœur du tissu social, notamment dans les régions marquées par l’animisme, tendance qui donne une âme à tous les objets et phénomènes existants et où se mêlent culte des ancêtres et magie. A partir de là tout élément est susceptible d’être à l’origine d’une superstition, car cette dernière permet de lui donner vie et sens.
Par exemple au Nigeria, si un homme est frappé avec un balai (par sa femme pour prendre une situation communément envisageable par tous) il deviendra impuissant ou ses organes génitaux disparaîtront. Selon certains ce mauvais sort peut être contrecarré si l’homme est frappé de nouveau par un autre balai au minimum sept fois. Comme quoi les pouvoirs d’un balai ne se limitent pas à faire voler une sorcière ou valser la poussière. D’ailleurs le balai est l’emblème de l’APC (le All Progressives Congress), le parti au pouvoir dans ce pays le plus peuplé d’Afrique.
Pour continuer avec le balai, il est formellement déconseillé de faire le ménage la nuit venue en Afrique de l’Ouest, car l’on considère que « balayer le soir ce n’est pas bien, car on emporte la richesse et la prospérité du foyer avec les déchets ».
Dans un autre registre, au Rwanda on apprend aux femmes dès le plus jeune âge d’éviter la viande de chèvre, celle-ci leur ferait pousser la barbe (heureusement, soit dit en passant, que cette superstition n’est pas parvenue jusqu’ici, en République de Djibouti) !
Dans notre chère République de Djibouti quelques superstitions subsistent également. Ainsi certains Afars ne mangent pas de requin car un de leurs ancêtres aurait été sauvé de la noyade par un squale, de même qu’un serpent, s’il n’est pas venimeux, porte bonheur en entrant dans une maison. Quand un corbeau se pose sur le toit d’une bâtisse il annonce la venue imminente d’un visiteur, et lorsque l’on dépose une grenouille sur le ventre d’une femme enceinte, la position du batracien annonce le sexe de l’enfant. Enfin tout le monde s’accorde ici sur la nécessité de diffuser de l’encens dans un nouveau logis avant de l’investir, afin d’en chasser les mauvais esprits.
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Dans une Afrique où le culte des ancêtres est un pilier inébranlable de la société communautaire et où il est mal vu de remettre en cause les croyances et les injonctions de ses aïeux, les superstitions se perpétuent génération après génération et conservent toute leur influence. La perception du surnaturel semble tellement naturelle que c’est le naturel qui devient surnaturel et la conséquence en est que l’on cherche toujours à donner une explication irrationnelle à tout phénomène.
Mais il serait bien facile et bien présomptueux de la part de « cartésiens européens » d’affirmer que le superstitieux est l’apanage de « l’envoûtante Afrique ». Car malgré l’héritage de siècles de sciences et une tradition de logique et de raison communément admise, chaque pays européen a son lot de superstitions et observe depuis une trentaine d’années un véritable regain pour « l’inexpliqué qu’on explique quand même d’une manière ou d’une autre », surtout quand celui-ci augure d’un flamboyant marché économique en pleine expansion.
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Chez les cartésiens aussi les superstitions persistent…
Dans la vieille Europe d’aujourd’hui quelques superstitions subsistent vaillamment. Ainsi passer sous une échelle n’est pas du goût de tous encore aujourd’hui, briser un miroir apporterait sept ans de malheur et ouvrir un parapluie sous un toit amène le mauvais œil, ces « croyances du quotidien » sont parmi les plus répandues à l’international. Puis viennent les spécificités locales : en France il est préférable de marcher dans une déjection canine du pieds gauche plutôt que du pieds droit, dans un cas ça amène la chance, dans l’autre le malheur, mais idéalement c’est mieux de l’éviter ; en Lituanie il est interdit de siffler à l’intérieur d’une maison car cela convoque les démons, de même que serrer la main d’une personne à travers le seuil d’une porte, porte malheur [nota bene : j’espère qu’il n’est pas inscrit quelque part qu’écrire ou lire le mot « porte » deux fois de suite annonce une terrible malédiction… je me dégage de toute responsabilité si c’est le cas].
Au Danemark il est coutume de conserver toute vaisselle cassée tout au long de l’année afin d’aller la déposer le jour de la Saint Sylvestre à l’entrée du foyer d’amis ou de membres de la famille, car découvrir des débris de vaisselle à son pas de porte au premier jour de l’année amène bonheur et prospérité. En Suède il faut éviter de marcher sur les plaques d’égout qui portent la lettre A pour « avloppsvatten » (eaux usées) mais que les Suédois prennent pour « avburten » (déception amoureuse), auquel cas il faut recevoir trois tapes dans le dos, mais la meilleure option reste d’enjamber une plaque d’égout portant la lettre K pour « kallvatten » (eaux potables) mais aussi « kärlek » (amour).
En Grèce, lorsque deux personnes disent la même chose au même moment, elles doivent aussitôt dire « Piase Kokkino » (chose écarlate) et toucher du rouge au plus vite pour éviter le pire.
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A ces quelques exemples on peut rajouter les superstitions liées à certains corps de métiers : dans la marine le mot « lapin » est banni une fois sur l’embarcation, le rongeur aurait été à l’origine de nombreux naufrages en grignotant le bois, et les femmes ne sont pas non plus les bienvenues à bord… elles ne rongent pas le bois mais font chavirer les cœurs. Les fleurs coupées que l’on utilise pour des couronnes funéraires n’ont pas leur place non plus sur un bateau car elles annoncent le décès d’un marin.
Dans l’aviation, les pilotes s’abstiennent de prononcer certains mots avant de prendre leur poste de pilotage… pas besoin d’aller chercher bien loin pour comprendre desquels il s’agit.
Dans le domaine de la couture, plusieurs superstitions sont également recensées : par exemple se piquer un doigt avec l’aiguille (chaque doigt a une signification) est préjudiciable. Faire tomber sa paire de ciseau annonce une coupure à venir et utiliser du fil vert portera malheur au costume et à la personne qui l’endossera.
Dans la culture du théâtre français, la couleur verte est réputée maléfique (c’est la couleur qu’aurait porté Molière lors de sa mort en sortie de scène), mais dans le théâtre italien c’est le violet, dans le théâtre espagnole le jaune, et au Royaume-Uni le vert et le bleu. Pas évident pour une troupe en tournée européenne si elle doit réadapter ses costumes pour chaque pays. Le mot « corde » est également proscrit dans le milieu des planches.
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Après tous ces exemples, inutile de continuer l’inventaire des superstitions, ce serait sans fin. En outre, il est à remarquer que si certaines croyances disparaissent chez les jeunes générations, il existe en Europe un véritable engouement pour l’ésotérisme, l’astrologie, les jeux de hasard, les voyantes et autres médiums, les alternatives parapsychologiques (médicales, philosophiques, etc), bref tout un domaine dans lequel règne allègrement le superstitieux et qui réunit des milliers d’adeptes (et plus encore de sympathisants) à travers de vastes salons d’exposition chaque année. Une économie de l’irréel qui pèse plusieurs milliards d’euros. L’Europe -et l’Occident en général- est un foyer prospère du superstitieux qui n’a rien à envier à l’Asie, l’Afrique et autres régions du monde dans ce domaine, et il n’y a pas de réelle différence entre aller voir sa voyante et aller consulter un marabout à partir du moment où l’on croit dans « l’efficacité » de l’un ou de l’autre. Même les plus sceptiques d’entre nous se retiennent-ils de faire un vœu à la vue d’une étoile filante ? Pas sûr.
C’est une façon de nous rappeler que nous avons tous en nous une dose minimale de superstitieux, plus ou moins importante selon les croyances de chacun,et qu’il nous arrive même de créer nos propres superstitions individuelles, des habitus, de développer un comportement précis pour une situation précise et qui souvent trouve son origine dans l’enfance. Qui, dans l’expectative voire l’inquiétude, n’essaie pas de se raccrocher à des « signes », ou un « sixième sens », afin de s’approprier quelques éléments de réponse, se rassurer et espérer maîtriser un tant soit peu ce qui nous est totalement inconnu et inaccessible : le hasard. Quel que soit notre niveau de crédibilité superstitieuse, nous avons tous en nous une envie plus ou moins présente de combler comme on peut l’irréel et l’inconnu. Les religions remplissent cette mission sur le plan spirituel et les questions existentielles, la superstition le fait, à sa façon, sur le quotidien.
Al Beber