Samah Ali Saïd
médecin généraliste
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A quel moment est née en vous cette vocation à devenir médecin ?
Depuis ma plus tendre enfance. J’ai toujours été fascinée par les sciences, les choses de la vie … Je n’avais, en outre, aucune référence, modèle à suivre dans mon entourage. Aucun membre de ma famille n’était de près ou de loin lié à la médecine ou au milieu hospitalier. C’est un rêve d’enfant qui s’est bel et bien auto réalisé.
Parlez-nous de votre cursus scolaire ? Que faut-il faire pour être médecin ?
J’étais parmi les « mentionnées » à l’épreuve du Bac série « scientifique » et l’on m’a naturellement octroyée une bourse pour un long cycle d’études à Cuba. Pour être médecin, de mon point de vue, il faut faire preuve de beaucoup de courage, fournir autant d’efforts et avoir un altruisme assez élevé.
Cuba ? Étiez vous hispanophone avant votre départ ?
Non, pas du tout ! J’ai dû apprendre la langue « très » rapidement. En réalité, en moins de trois mois, la langue espagnole était presque maîtrisée. Vous savez, nous étions déjà francophones, le français et l’espagnol ont quasiment les même racines latines, ce ne fut donc pas très compliqué pour moi et j’ai pu suivre tout mon cursus dans cette langue.
Comment se sont déroulées vos études à Cuba ?
Nous avons eu la chance d’être transplantés dans un autre environnement social et culturel et de bénéficier de cours intéressants dispensés par d’éminents professeurs. Je ne puis affirmer ici que c’était « facile », loin de là, mais c’était une véritable chance pour moi de découvrir un monde totalement différent du mien.
Étiez-vous la seule djiboutienne à suivre ces études ?
Pas du tout ! Nous étions la troisième génération de « Cubains » comme l’on nous surnomme familièrement. D’abord, il y a eu un premier groupe de 21, un autre de 15, et enfin notre dernier groupe de 21 où l’on comptait 7 filles.
Quels ont été vos rapports avec les autres étudiants cubains ?
Dans l’ensemble ils étaient bons, les Cubains pensaient que j’étais brésilienne ou péruvienne et lorsque je leur apprenais ma « djiboutianité » et du fait également que j’étais une femme musulmane, je devais alors faire face à toutes sortes de stéréotypes habituels dans le genre : femmes soumises et infantilisées, forcées à se marier avec un époux non désiré … C’était une sorte de lutte permanente pour leur faire comprendre que ces choses-là n’étaient en général que des clichés grossiers même si l’on pouvait constater ces « phénomènes » ailleurs et très généralement observables dans des cas isolés. Bien sûr que le combat des femmes dans le monde musulman a pris « un peu » de retard par rapport aux autres pays européens ou latins, mais le mouvement est en marche et n’est pas incompatible avec les valeurs et les enseignements de notre Prophète, bien au contraire. Ce dernier a toujours voulu que la femme soit indépendante et responsable.
Après ces sept années d’étude et votre retour au pays, avez-vous pu trouver justement des changements dans la société djiboutienne au niveau de la condition féminine ?
Bien sûr, elle a même été flagrante. Ce fut pour moi une étonnante découverte. J’ai trouvé que les femmes avait pris plus d’assurance en elles, qu’elles étaient résolument plus entreprenantes. Il faut y voir bien évidemment une forte volonté présidentielle dans ces changements mais il faudrait surtout citer ici le combat de l’UNFD, l’Union des femmes djiboutienne présidée par la Première Dame. C’est grâce à elle et l’activité permanente de cette association que nous pouvons aujourd’hui lever la tête et réaliser nos rêves. Il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir et surtout beaucoup d’efforts à fournir. Devenir médecin m’a appris, entre autres, un principe essentiel : seul l’effort est payant ! Rêver et rester dans l’inaction ne mèneront à rien. Vous avez le droit de rêver mais si vous désirez réellement changer votre vie vous devez vous en donner les moyens et ne compter, en général, que sur vous-même.
Comment voyez-vous l’homme en général et l’homme djiboutien en particulier. Pensez-vous qu’il existe encore des préjugés sur les femmes dans notre société actuelle ?
De mon expérience personnelle, que ce soit à Cuba ou maintenant à Djibouti … Je dirais que l’homme conservera toujours des préjugés. Il se dit qu’il pourra toujours mieux faire que nous autres, les femmes et je pense que c’est une tendance mondiale. Le « machisme » existe partout et continuera d’exister. Je dirais qu’il faut surtout du respect. Tant qu’il y aura du respect on pourra avancer et construire une société meilleure et aller de l’avant. L’injustice et le progrès ne font pas, en général, bon ménage.
Parlons un peu « médecine », avez-vous déjà été confrontée à des cas de MGF, les mutilations génitales féminines et comment voyez-vous cette pratique ?
Abject, horrible, barbare … Il y a dix années de cela, j’étais en seconde, le gouvernement nous sondait pour connaître le point de vue des étudiants, j’étais de celles qui étaient totalement contre car les avis étaient mitigés sur la chose. Djibouti, la république de Djibouti condamne fermement la pratique et c’est suffisant pour moi. Maintenant il revient à nous de faire passer le message, de sensibiliser les gens et surtout les femmes car c’est quelque chose qui se transmet de mère en fille. L’homme n’a, en général, que très peu d’influence sur cette pratique barbare et c’est ça le plus navrant dans cette histoire : c’est une affaire de femmes ! Encore une fois, il faut nous battre et nous battre contre nous-mêmes. Le gouvernement a déployé tous les moyens allant de la sensibilisation à la prison et nous avons beau leur dire que notre religion, l’Islam, condamne fermement la pratique, certaines femmes continuent à perpétuer les mutilations génitales féminines surtout dans les classes les plus défavorisées. L’ignorance est l’une des mains qui tient le rasoir … Mais je reste confiante en l’avenir, la pratique tend à disparaître et c’est une bonne chose.
Nous avons cru comprendre que vous n’étiez pas militaire ? Cet hôpital est-il uniquement réservé qu’aux militaires ?
Vous avez raison, je suis une engagée civile mais je dois me conformer aux mêmes règles de discipline que mes autres collègues militaires. Par contre cet hôpital est au service de toute la population djiboutienne. Vous pouvez toujours consulter nos spécialistes en cas de besoin, il n’est nécessaire de porter l’uniforme pour les rencontrer.
Nous avons pu remarquer que vous disposez de matériel vraiment sophistiqué, c’est très moderne en tout cas. Existe-t-il des projets d’aménagement à l’avenir ?
Je ne suis pas vraiment la personne la mieux désignée pour répondre à cela, mais nous participons chaque jour à des réunions pour améliorer encore la qualité de nos services. Notre directeur actuel et, je crois également, la majorité des responsables des centres hospitaliers de ce pays, souhaiteraient, à terme, cesser les nombreuses évacuations sanitaires qui sont encore effectuées aujourd’hui par manque de moyens en personnels et matériel. La formation des futurs médecins et spécialistes est déjà en marche et j’espère que ce complexe hospitalier dont vous avez pu remarquer la modernité de ses installations ne soit qu’un modèle parmi les nombreux autres qui suivront. A l’avenir, et c’est ce que nous souhaitons tous, c’est d’éviter, même dans les cas pathologiques les plus graves, d’aller se « ruiner » à l’étranger.
Un mot pour les jeunes femmes djiboutiennes ?
Avancez ! N’attendez pas que le succès dans tout ce que vous pouvez entreprendre vienne à votre rencontre mais allez directement le chercher, le provoquer.
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Mouna Yassin Mahmoud
technicienne de l’anesthésie
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Comment êtes-vous devenue technicienne de l’anesthésie ?
J’ai obtenu mon baccalauréat dans la série « S » et j’avais entendu que des bourses étaient attribuées par le Ministère de la Santé. J’ai postulé et j’ai été envoyée au Maroc pour devenir technicienne de l’anesthésie.
C’était la seule option où existait-il d’autres spécialités ?
Oui, il y avait d’autres branches comme la radiologie, le labo, la kinésithérapie mais j’ai opté sans hésitations pour l’anesthésie.
C’est quand même une lourde responsabilité ? Qu’est-ce qui a motivé votre choix ?
C’est une lourde responsabilité en effet mais en vérité, je m’étais bien renseigné auparavant sur toutes les autres filières et sans hésiter j’ai choisi cette branche à cause justement de ce qu’elle prodigue aux patients dans le milieu hospitalier. Vous savez, l’hôpital n’est pas à proprement parler un hôtel, on y entre pour de graves raisons, certaines mineures et d’autres plus graves où parfois le patient souffre énormément. Nous sommes là pour soulager ses douleurs et lui apporter le maximum de confort, ce sont là les raisons principales qui m’ont poussée à choisir cette spécialité. J’ai également fait ce choix à cause justement des responsabilités. C’était une sorte de défi et j’ai voulu me prouver à moi-même, ainsi qu’aux autres qui n’y croyaient guère, que j’en étais capable. C’est une lourde charge qui m’a permis de m’élever, dans mon for intérieur, à une certaine dignité.
Comment se sont déroulés vos études au Maroc ? Vous n’avez pas rencontré de problèmes avec vos collègues masculins marocains ?
Mes études au Maroc se sont déroulées correctement. Mes collègues marocains, malgré ce que l’on peut entendre ou lire dans les journaux à l’aune des derniers événements sur les « migrants et garçons marocains » tous « obsédés », ont toujours été très respectueux envers nous et également très attentionnés et fraternels. Les seuls moments, si je puis dire, « désagréables » ont été le refus de certains patients marocains à ce qu’une « étrangère » les prenne en charge. Il m’est arrivé parfois qu’un patient refuse catégoriquement que je m’occupe de ses soins. J’aurais pu effectivement laisser les Marocains faire le « boulot », mais lorsque vous êtes étudiante, ce travail d’internat est extrêmement utile et enrichissant, il aide à parfaire vos connaissances avec une mise en pratique réelle. Heureusement que les collègues marocains étaient toujours là, avec beaucoup de prévenance, à expliquer aux malades les raisons de ma présence. Parfois, il fallait user de « menaces » dans le genre : « Si vous ne voulez pas que notre collègue djiboutienne s’occupe de vous alors vous pouvez sortir de cet hôpital … » mais heureusement, nous étions très rarement obligés d’en arriver là !
A votre retour, qu’est-ce qui a motivé votre intégration dans les forces armées ?
J’étais tout d’abord affectée au service du Ministère de la Santé dans les hôpitaux de la ville. A un moment, les autorités militaires ont fait la demande de personnels spécialisés et l’on m’a proposé d’intégrer les forces armées djiboutiennes. J’ai accepté car c’était encore une fois un nouveau défi à relever.
Comment s’est passée votre formation ?
Plutôt bien, les instructeurs ont pris en compte que nous étions des personnels de la santé et non des combattants, nous n’avions pas les mêmes astreintes que les autres militaires. J’ai par contre connu une jeune fille qui a voulu faire « guerrière ». Elle m’a avoué qu’elle désirait prouver aux garçons qu’elle avait les mêmes capacités que ces derniers. Dans ce cas précis, les instructeurs n’ont pas fait montre d’une partialité disons « positive », en allégeant le fardeau des filles. Elles ont eu droit au même « tarif » dans leur entraînement et elles sont fières aujourd’hui de narrer leurs exploits. Cela prouve que la femme djiboutienne peut faire preuve d’une résilience extrême.
Quels ont été les changements par rapport au fait que vous soyez maintenant militaire et non plus « civil » dans le quotidien de votre travail ?
En réalité, civil ou militaire, le travail reste toujours le même. Ce qui change par contre, c’est la discipline. A l’hôpital militaire, nous avons des comptes à rendre en permanence, la moindre faute d’inattention ou un écart professionnel est directement sanctionné par notre supérieur hiérarchique. Cela nous permet de rectifier, si besoin, notre conduite et d’être pleinement opérationnel. L’hôpital militaire est une particularité propre à tous les pays souverains. C’est donc un devoir et une obligation de disposer de son propre hôpital soumis à la discipline militaire la plus stricte pour assurer un niveau opérationnel à toutes épreuves.
Quelques mots pour les jeunes djiboutiennes ?
Faites des efforts, ne lâchez rien, soyez courageuses et allez de l’avant. Respectez les autres mais si vous pensez ne pas pleinement bénéficier de vos droits alors réclamez-les !
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