La mort, ce cesser-le-vivre …
La culture arabo-musulmane, dans sa grande majorité et à de rares exceptions près (tendances Soufis), n’a guère d’attirance pour la liturgie funèbre au-delà des limites fixées par la durée du deuil. Néanmoins, d’un bout à l’autre de la terre, on célèbre, dans une espèce de nécromanie plus ou moins exacerbée, un culte aux morts.
La crainte de passer outre a toujours fasciné sinon terrorisé l’espèce humaine et c’est bien normal. La mort effraie autant qu’elle peut la quasi totalité du monde vivant connu et inconnu par sa sentence irréversible, son inéluctable arrêt ordonnant sur-le-champ un cesser-le-vivre.
On prête pourtant à la Camarde bien des sentiments, une certaine joie de semer la mort comme le bon paysan fauchant ses blés dans une pub vantant les mérites bucoliques d’un fromage : séquence ensoleillée, musique printanière, images au ralenti et le réalisateur satisfait de la prise ; la littérature autant que les arts nouveaux ont souvent personnifié la mort à travers des mises en scènes surréalistes, parfois grotesques.
La mort, c’est un vaste océan de néant, un plein absolu de vide, c’est l’absence de tout, et la voir du dedans de son âme c’est comme être aveugle, aphone et sourd.
La mort, l’entendre déjà au féminin c’est une insulte à celle qui porte la vie, on ne devrait même pas pouvoir lui donner du genre. Néanmoins, en ce début de mois de novembre, on peut assister à un grand show sépulcral, une fête triplement mortuaire : trois jours autour de la mort et tout autant de manières de la percevoir.
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Les trois jours de la mort
31 octobre : Halloween « Hallow Evening » – soir sacré – en vieux langage gallois et seule survivance directe de la « Samain », une fête aux origines sombres et du point de vue monothéiste, un ancien culte païen.
Halloween est cette frairie renégate doit bien dater de l’an 1000 avant notre ère commune, au temps des grands chevelus Celtes. C’était une célébration particulière, considérée comme une sorte de premier de l’an mais en dehors du temps, qui n’appartenait ni à l’année qui s’achevait déjà au passé ni à celle qui se présentait nouvelle et qu’on espérait bonne et joyeuse pour l’avenir.
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C’était également le jour de communion avec les morts, dans un interstice de temps où les spectres du grand soir pouvaient, selon la science druidique, converser avec nos enveloppes charnelles sur terre. C’était surtout l’occasion d’honorer les ancêtres et cette grande période festive, qui durait sept jours, s’est muée, par le truchement de la puissance romaine du nouvel empire chrétien soucieuse de fédérer ces peuplades barbares et s’allier les hirsutes de la forêt des Carnutes, en fête de la Toussaint. La fameuse fête celtique des morts sera, d’aucuns n’en doutent maintenant, récupérée par cette nouvelle foi venue d’Orient malgré le verset biblique interdisant formellement, sous peine capitale, toutes formes de communication avec les morts.
Mais Halloween ce sont surtout de nos jours les enfants se drapant de chiffes putrides et d’oripeaux sanguinolents, à faire un porte à porte en menaçant les habitants de leur jouer de sales tours s’ils ne s’avisaient pas à emplir de sucreries les sachets de ces garnements. C’est une occasion festive qui n’a pas manqué de se glisser dans le planning des responsables commerciaux de tous bords. Halloween fait vendre et les pays latins, jadis peu enclins à jouer avec la grande faucheuse, se sont mis à cultiver des citrouilles immangeables et à vendre des kits de morts-vivants.
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1 novembre : la Toussaint, on fête religieusement et solennellement le souvenir des premiers Martyrs de la chrétienté. Ceux qui furent engloutis dans l’infernale machine à broyer romaine et cela pendant quelques 3 siècles, avant qu’un empereur, adorateur du soleil invaincu, ne connaissent le même revirement de foi qu’un certain Saul de Tarse, grand inquisiteur, à ses débuts, des compagnons de Jésus le Nazaréen (Saul sera d’ailleurs à l’origine du premier martyr officiel de la chrétienté en assistant et cautionnant de toute sa pharisienne autorité la mise à mort d’Etienne). Saul de Tarse sera surtout connu sous le nom d’Apôtre Paul après une conversion fulgurante sur le « Chemin de Damas ». Saint Paul est considéré de nos jours comme celui qui aura été la base la plus solide sur laquelle se fonde la religion chrétienne toutes tendances confondues. La Toussaint est donc l’une des solennités de l’Église Catholique romaine qui se fête gravement.
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2 novembre : la fête des Morts que l’on confond souvent avec la « Toussaint » mais qui n’a aucun lien de parenté. C’est le jour où, principalement dans les pays de confession catholique, l’on fleurit les tombes des défunts de chrysanthèmes, l’une des rares fleurs à « tenir » le gel dans la lugubre froideur de ces longs mois d’automne, l’austérité est de rigueur, le recueillement de mise dans les pays de l’hémisphère nord au contraire du Mexique, où une fête similaire, quoique fortement teintée de rites animistes dans lesquels on donne des offrandes aux défunts, a été popularisée à travers un folklore osseux où le squelette peut danser la gigue et la mort, « la Santa Muerte », devient une sainte capable d’intercéder envers elle-même dans une sorte de combat schizophrénique entre un Jekill/Hyde de l’outre-monde, où la mort/muerte ajournerait, à la tête du client qui se serait obséquieusement accordé un droit de vivre, sa moisson macabre.
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La mort vue par ceux qui ne veulent plus mourir
Pour égayer un peu ce décorum à la rigidité quasi cadavérique : les joyeusetés populaires animées par l’aimable populace, masse ingrate peu encline aux solennités protocolaires mais toujours vaillante dès qu’il s’agit de ripailles festives autour des tombeaux. Dans le bestiaire des irrévérencieux, on aura l’ivrogne, le grand sakrâne jouant au plus malin avec le Malin. Le Diable lui-même se laissera donc vingt fois posséder par les ruses à trois sous de ce Jack-à-la-lanterne, vieil escogriffe qui ne voulait pas mourir et continuer à cuver en douce le whisky des Highlands jusqu’au jour du bon débarras, où ni les Anges ni le Diable n’en voulurent ; il fut donc condamné, un tison ardent chopé au milieu de la fournaise infernale et placé au bout d’un navet servant de lanterne, à errer dans le nulle part, ni enfer ni paradis, en une longue marche idiote. En Amérique du Nord, Jack est souvent représenté par une citrouille à la bouille guillerette et même parfois menaçante.
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La mort hallowoodienne
Un mort qui revient à la vie, soyons clair, le seul moment où l’on évoque cette hypothèse, c’est le fameux jour de la résurrection, « Yaom al-Qiyamat » en arabe. Romero, celui que l’on reconnaît comme étant le père du zombie-survival-horror-show, le cultissime auteur du « jour des Morts » avait raison de détourner cette fête en une espèce de farandole résurrectionnelle burlesque. La farce zombiesque est une singerie de plus à Halloween. Le cinéaste post-soixante-huitard a eu la brillante idée, en 1969, d’en faire une représentation « réaliste », au sens médico-légale du terme, dans une mémorable « Night of The Living Dead ». Cela commence le jour où l’on célèbre justement les défunts, dans un cimetière qui se transforme subitement en rue piétonne bondée de morts aux visages secs comme l’écorce d’un tronc en vermine. Et ça claudique dans tous les sens, on voit des moitiés de corps sentant la momie, ou plutôt des carcasses putréfiées qui se traînent à la manière des limaces, des mains terreuses, surgissant d’un lopin tranquille, vous agrippent furieusement le mollet, du caveau familial jadis pénétré par le silence aux défunts sortent une nuée d’ancêtres gâtés pourris ragaillardis par la vie en plein air et coassant la joie de vivre. La farandole à la mesure en syncope, au rythme du menuet de l’automate, se termine en bal tragique la nuit dans un hideux carnage claquemuré : tout fini dans une maison censée offrir un dernier refuge à une petite grappe de vivants. Le cinéaste aura peut être voulu nous transmettre sa déprime funèbre : nous ne sommes que des morts en sursis, la demeure dernière n’est pas loin, notre maison, havre de paix, le home-sweet-home n’est plus qu’un death row.
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Cependant, l’imagerie populaire ne s’est pas arrêtée à ces jets d’hémoglobine aux teintes souvent verdâtres. Il y a eu du vrai romantisme dans ce jour des morts : « Shawn of The Dead » de l’anglais Edgar Wright écrit et joué par l’incontournable Simon Pegg : l’amour perdu et retrouvé entre deux trépanations à coups de vinyles et trois pintes au Winchester. « Warms Bodies » de l’américain Jonathan Levine ou l’amour antinomique de la mort et de la vie. On mentionnera également, mais totalement hors catégorie, le truculent « Dellamorte DellAmore » de l’italien Michele Soavi où la Camarde prend des allures de déesse callipyge.
Mais la mort, toujours victorieuse et invaincue, a bien vite repris ses droits mortifères. Le succès interplanétaire de la série « Walking Dead » ne revisite pas le genre, il reprend le thème originel de la mort, cette chose sérieuse, hideuse et détestable que certains philosophes ont annoncé, lapidaires, comme un « mal nécessaire ». Et cette longue attente où l’on s’avance, le plus lentement possible et à petits pas saccadés, vers le grand précipice n’est plus au paradigme habituel. Non, dans la fresque hollywoodienne, la vie est devenue une zone de combat permanent, au leitmotiv unique, à la dichotomie parfaite : survivre dans la vie ou vivre dans la mort. Et c’est une guerre entre deux espaces de contact imminent, aux frontières à la contiguïté perpétuelle et qui, au final, ne laissent aux protagonistes que deux raisons d’être. C’est un peu la métaphore accélérée de notre quotidien, mais il arrivera probablement un jour que cette mors invicto prendra l’odeur de naphtaline dans le placard des musées comme il est arrivé à toutes ces époques maintenant poussiéreuses et qui jadis furent ébranlées dans leurs grandes certitudes par un Copernic, un Galilée, un Newton, une Curie, un Einstein, un Hawkins et même un Laborit. Et l’on verra des gamins, ce fameux jour du souvenir, la mine blafarde, teintée de talc odoriférant, le pourtour de l’oeil couvert de noir de cirage ou de suie, tenant dans leurs menottes des fausses faux de plastique mousse à la gomme allant et venant, halant le passant hilare ou l’habitant joyeux, l’adjurant de fouiller ses poches, savoir si l’on pourra les délester d’une piécette ou deux, histoire d’aller acheter ou remplir les sacs de bombecs savoureux avec la formule d’usage et qu’on ne comprendra plus puisque l’on sera presque immortels : « La bourse ou la vie ! »
Croire en ces choses là c’est déjà sacrilège. Peut-être dans cent ou mille ans, à l’ère des robots humanoïdes, l’ère d’Adam et Eve de synthèse, s’ils nous remplacent assez vite, avant qu’un grand cataclysme naturel ne nous emportent tous et qu’il n’y ait plus personne à se rappeler affectueusement à notre bon souvenir. Ce serait en effet bien plus qu’une catastrophe si l’on allait au trépas en perdant également l’éternel réconfort de savoir que l’on reste vivant dans la mémoire de ceux qui nous succèdent dans la vie.
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