« La rumeur est la fumée du bruit » – Victor Hugo
Avant de vous dévoiler le « Making-of » de notre fiction sur le monstre du Goubet, penchons-nous quelques instants sur les mécanismes qui permettent la création et la diffusion d’une rumeur.
16 septembre 1978, a quelques 3500 kms de distance, un tremblement de terre d’une magnitude de 7.8 vient de frapper la région de Tabas en Iran, on dénombre environ 25,000 morts. Les radios du monde entier diffusent la terrible nouvelle dans la nuit. A Djibouti, dans la chaleur moite de cette fin de saison chaude, un employé de banque achève de licher sa dernière branche de Khât. La radio, à cette époque là, est le compagnon irremplaçable des mabrazes. Notre homme écoute avec effroi les nouvelles venues d’Iran et très vite, de surprenantes compétence en sismologie s’éveillent en lui. Il peut donc calculer que la très forte secousse iranienne ira se fracasser, tel un tsunami sismique, sur les côtes djiboutiennes le lendemain matin, vers 10H00 précisément.
17 septembre 1978, république de Djibouti, place Lagarde, 10H00 du matin. Il n’y plus âme qui vive à l’intérieur des édifices bancaires, toute la place est désormais envahie par une foule apeurée, clients et employés sont unis dans la crainte que les imposants bâtiments ne s’effondrent. Quelqu’un interroge : « Mais que se passe-t-il au juste ? Une alerte à la bombe ?
Non, c’est une alerte au tremblement de terre ! »
Fin mars 2013, un « petit plaisantin », voulant inaugurer la journée du 1er avril par une nouvelle farce, décide d’envoyer un message d’alerte vers l’ensemble de ses contacts : « Attention, le fichier de configuration envoyé par Djibouti Telecom est en réalité un puissant virus capable de détruire toutes les données de votre téléphone ! ». Ces derniers reçoivent l’information et alertent à leur tour leurs amis créant une chaîne de la peur cadenassant pendant quelques jours l’accès à la 3G tant annoncé par Djibouti Telecom jusqu’à ce que le farceur envoie un autre message dénonçant la blague, « juste pour rire ».
Deux exemples très djiboutiens aux conséquences anodines et souvent burlesques mais très souvent,la rumeur, lorsqu’elle est enclenchée à des fins machiavéliques, peut rapidement étendre ses effets dévastateurs.
Au commencement, il y avait le verbe
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La rumeur est avant tout un phénomène sociologique qui obéit essentiellement au besoin naturel qu’éprouve l’être humain à communiquer avec ses semblables. Au delà des « maîtres-concepts » de la physique classique qui définissent l’univers à travers deux constituants : la matière et l’énergie, « l’information », selon le théoricien américain Norbert Wiener, n’est « ni masse, ni énergie, l’information n’est qu’information » soit un concept totalement humain… ou divin.
Selon les trois grandes religions monothéïstes, la première « mission » de l’homme fut d’identifier et de nommer les animaux ainsi que le reste de la création. Cette « information » ainsi générée devait se transmettre par le verbe et ensuite sauvegardée sur les premiers supports connus : pierre, peaux, papyrus, papier…
Henri Laborit, le célèbre neurobiologiste, définit quant à lui l’homme comme un ensemble de molécules organisées sous la tutelle de l’information qui circule dans notre organisme à travers des signaux électriques. Nos cellules, bien que farouchement indépendantes et complètement autonomes, se transmettent continuellement des informations et s’organisent dans le seul but de permettre le maintien en vie et la pleine fonctionnalité d’un être vivant. L’être humain serait une sorte d’énorme conglomérat d’émetteurs/récepteurs ambulants qui se seraient unis pour une même cause. On comprendra alors chez nous ce besoin essentiel de communiquer : c’est notre nature intrinsèque. Acquérir et transmettre l’information est un processus physiologique qui subordonne même nos besoins fondamentaux comme se reposer, boire ou manger : l’exemple d’Euclès à Marathon qui mourut une fois son heureux message délivré ou le cas de nombreuses personnes résistant aux pires souffrances sous la torture et les privations afin de ne pas divulguer de précieuses informations.
« La rumeur publique est plus forte que toutes les puissances de ce monde. »- Gilles Vigneault
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« L’affaire du Collier », célèbre cas de rumeur dans le monde arabo-musulman, fut à l’origine des nombreux versets du Coran exhortant les croyants à une rigueur exemplaire quant au traitement de l’information.
Pour rappel des faits, Aïcha, l’épouse du Prophète de l’Islam se rendit compte de la perte de son collier alors qu’elle accompagnait son époux dans une caravane. Le Prophète ordonna une halte et les membres de la caravane firent leur possible pour retrouver l’objet précieux, en vain. Pendant les recherches, l’épouse profita d’un moment pour quitter sa litière et se retirer dans les lieux d’aisance. La caravane, dans cette halte nocturne improvisée et dangereuse – ils risquaient de manquer d’eau ou même de se faire attaquer -, reprit rapidement son chemin. Les gardes attachés au palanquin ne remarquèrent pas l’absence d’Aïcha et cette dernière trouva, à son retour, la zone de campement déserte. Elle attendit sur place, comme il était d’usage dans ces cas là. Un certain Safwan Ibn Muattal, détaché à l’arrière garde, découvrit l’épouse du Prophète qui s’était assoupie et il mit à la disposition de la dame sa propre monture tout en cheminant à marche forcée jusqu’à atteindre la tête de la caravane. De retour à Médine, la ville résidence du Prophète, après quelques semaines, on entendit d’étranges bruits au sujet d’Aïcha et du jeune cavalier Safwan Ibn Muattal… Les quelques allusions déplacées s’étaient rapidement transformées en une sourde et ignominieuse calomnie qui, n’eût été des versets enjoignant les Croyants « à s’éloigner de la conjecture […] à ne pas propager des choses dont ils n’ont aucune connaissance […] à se garder des moqueries et fausses accusations…» auraient très certainement ébranlé la communauté musulmane naissante au coeur même de la famille du Prophète de l’Islam.
« La rumeur, cette vérité qui se promène comme un mensonge, de bouche à oreille, qui ne fait pas réfléchir les gens, qui passe comme un soupir au-dessus du vent. » – Charles Soucy
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Dans notre « Légende du Monstre du Goubet » – pure fiction romancée -, nous avons repris quasiment tous les éléments des différentes « rumeurs » qui se sont formées et propagées depuis plus de soixante années afin de créer une sorte de golem narratif et lui insuffler une vie frankensteiniesque. Malgré les démentis officiels du Commandant Cousteau, de la fondation qui porte son nom ainsi que des proches collaborateurs du célèbre explorateur et sans considération aucune pour les enquêtes menées par des passionnés – comme celle que l’on peut trouver sur ce site (et qui aura servi de base à l’écriture de notre « fable ») – les différentes occurrences de la « Légende du monstre du Goubet » continueront à se répandre à travers les nouveaux supports de communication comme une entité fantomatique unique douée d’une causa sui et qui hantera, probablement encore pour longtemps, les coursives temporelles de l’information.
Pour découvrir les origines de cette rumeur qui a fait connaître le Goubet et Djibouti à travers le monde, télécharger notre « rapport d’autopsie d’une rumeur aux proportions fabulantesques » en cliquant sur l’image ci-dessous.
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