Il faut appeler la Chine
[style_image width= »620″ image= »https://www.coubeche.com/wp-content/uploads/2015/08/shandong-university2.jpg » url= »https://www.coubeche.com/wp-content/uploads/2015/08/shandong-university2.jpg » border= »no » lightbox= »yes » fade= »yes »] Université de Shandong
Nous attendons sous le soleil brûlant qu’un signe numérique survienne, c’est le mois de Ramadan, la chaleur est écrasante et la soif nous tyrannise. La gigantesque télévision couleur qui devra prendre place au fronton de l’usine Crystal doit briller de tous ses panneaux à Led. Une technologie naguère hors de prix mais que les usines chinoises – d’où pratiquement tout ce qui se fait à base de silicium se construit – ont réussi à en radicalement baisser les coûts de fabrication. Une animation de circonstance doit inaugurer cette première diffusion géante mais non… rien, rien qu’un laconique tic tac lumineux qui vient sporadiquement enneiger une surface constellée de milliers de petites lampe RVB.
Le responsable regarde, quelque peu désappointé, l’écran colossal qui nous surplombe de son ombre noire et éteinte. A ses côtés, s’affaire Omar, l’informaticien en charge de résoudre l’imposant problème de connexion. A l’aide d’un terminal wifi, il tente de se frayer un chemin à travers l’inextricable réseau de transmission, en vain.
« Omar… il faut que tu appelles la Chine… c’est urgent… tu leur expliques le problème, nous devons trouver rapidement une solution. »
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Omar, directeur informatique adjoint
[style_image width= »620″ image= »https://www.coubeche.com/wp-content/uploads/2015/08/omar-chinois.jpg » url= »https://www.coubeche.com/wp-content/uploads/2015/08/omar-chinois.jpg » border= »no » lightbox= »yes » fade= »yes »]Omar Robleh Elmi
Omar, c’est l’adjoint au directeur informatique du groupe Coubèche. Omar doit appeler la Chine, certes. Mais l’interlocuteur en face communiquera en quelle langue ? Omar parle, en bon informaticien, un anglais serein… Ce sera donc un dialogue technique ou bien alors, le responsable du service après-vente est francophone, tout s’arrange et même peut être serait-il un de ces représentants de la tentaculaire diaspora djiboutienne… mais non, j’entends Omar, d’une voix lente et nasillarde, expliquer, en mandarin – la langue officielle de la république populaire de Chine – l’épineux problème technique à une jeune interlocutrice tout étonnée et qui doit bien avoir les yeux qui globulent du côté de Pékin…
Et comme à chaque fois, à l’autre bout du combiné ou même dans ces face-à-face de rencontre, la conversation initiale se déroute généralement sur un questionnaire de gendarmes : « Mais où avez-vous appris notre langue ? » Et comme à chaque fois, Omar, répond, le timbre grave, l’élocution placide… Il devra ainsi apaiser cette invariable curiosité qui nous agite dès que sinophile, sinophone, sinologue ou non, l’on se retrouve en face de Omar, Omar le Chinois.
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Je n’irai pas en Chine !
[style_image width= »620″ image= »https://www.coubeche.com/wp-content/uploads/2015/08/shandong4.jpg » url= »https://www.coubeche.com/wp-content/uploads/2015/08/shandong4.jpg » border= »no » lightbox= »yes » fade= »yes »]Salle de classe de l’université de Shandong
Omar Robleh Elmi est ce que l’on appelait hier un surdoué et aujourd’hui une personne à haut potentiel.
Omar était déjà bien doué pour les mathématiques. En classe de terminale scientifique du lycée d’Etat de Djibouti, il surpasse ses camarades par la vivacité de son esprit à résoudre les problèmes de la logique des nombres. On lui propose de se plier à un test de sélection. La Chine souhaite en effet offrir des bourses d’études dans l’une des plus prestigieuses université du pays, celle de Shandong. Des officiels chinois sont donc à la recherche des meilleurs éléments pour l’année universitaire prochaine dans le secteur du commerce international. Omar, par jeu et amour des casse-tête mathématiques, puisqu’il s’agit essentiellement d’un insoluble problème d’arithmétique, réussi haut le main ce test de sélection en arrivant, dans une échappée pythagoricienne, en tête de la course. Mais Omar a d’autres idées, il veut devenir informaticien. Les Chinois sont néanmoins à l’affût, ils ont déjà repéré Omar qui empoche son baccalauréat « les mains dans la poche » et souhaite rester, pour un temps, sur Djibouti, en attendant de décrocher une bourse vers un pays moins lointain et dans la branche qu’il souhaite le plus ardemment : l’informatique. Les émissaires de la république populaire lui offre une bourse d’études en commerce international au sein de l’université de Shandong : c’est un honneur pour eux, Shandong, c’est un peu la Sorbonne en Chine… mais pour Omar, ce grand pan du continent asiatique est loin de ses aspirations du moment, s’il faut partir il aimerait alors surtout rejoindre ses amis déjà en route pour Dijon, Montpellier, Reims ou même Rabat…
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La grande muraille des préjugés
[style_image width= »620″ image= »https://www.coubeche.com/wp-content/uploads/2015/08/Pont-Immortel.jpg » url= »https://www.coubeche.com/wp-content/uploads/2015/08/Pont-Immortel.jpg » border= »no » lightbox= »yes » fade= »yes »]le « Pont Immortel », Mont Tai, province de Shandong
Et puis la Chine l’effraie… « Il faudra apprendre le chinois ? C’est une langue impossible ! »… Et puis les Chinois… « Ils ont des moeurs bizarres non ? »… « On mange du chien par là-bas ! ». C’est le lourd boulet des préjugés que nous traînons tous, une grande muraille d’idées reçues qui nous empêche de dépasser les frontières de l’inconnu et partir nonchalamment à la découverte du mystérieux Empire du Milieu. « Non, je n’irais pas là-bas… »
Devant tant ce refus obstiné, l’oncle d’Omar interfère : « Tente de voir plus loin que l’immédiat… Tu dois penser à ton avenir ! La Chine est une excellente opportunité pour le futur ! ». Comme dans un système informatique envahi par une myriade de bits à deux valeurs : 0 ou 1, ouvert/fermé, oui ou non, Omar transforme soudainement son entêtement persistant en volonté inébranlable : il ira donc en Chine.
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Omar au milieu de l’Empire
[style_image width= »620″ image= »https://www.coubeche.com/wp-content/uploads/2015/08/Cantine-de-Shandong.jpg » url= »https://www.coubeche.com/wp-content/uploads/2015/08/Cantine-de-Shandong.jpg » border= »no » lightbox= »yes » fade= »yes »]Cantine de l’université de Shandong
Et la Chine l’accueillera et le récompensera chaleureusement : il apprendra très rapidement le mandarin (il aura même un diplôme certifiant sa maîtrise de la langue que n’obtiendront pas les autres étudiants internationaux), y restera presque 5 années consécutives faites de rencontres bigarrées (La quasi totalité de la planète était représentée à Shandong), de voyages immenses (il parcourra quasiment toute la Chine grâce à ses dons d’interprètes, souvent auprès de profs étrangers le rémunérant), il n’abandonnera pas sa passion pour l’informatique en piratant « gentiment » les serveurs universitaires, il réussira à épouser toute la subtile complexité des peuples d’Asie en côtoyant intensément son représentant le plus notable (ses premiers amis sur le campus étaient Chinois, il saura d’ailleurs profiter de ces derniers pour perfectionner sa maîtrise du mandarin et mieux comprendre « l’incompréhensible indolence des asiatiques »).
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Omar de Chine
La Chine fut pour Omar l’occasion de découvrir l’une des faces cachées, d’un point de vue africano-européen, de la grande civilisation humaine. Elle fut pour lui semblable à un fabuleux terrain de découvertes alors qu’elle reste pour nous la terra incognita tant redoutée, à l’économie dévorante, aux capacités encore non totalement dévoilées.
Omar le Chinois est toujours informaticien, il draine chaque jour des monceaux d’octets qui vont, qui viennent et qui meurent dans de mornes espaces numériques, et parfois, à l’appel de l’ennui, il parcourt la toile chinoise, discute un brin avec des rencontres virtuelles au fin fond des vastes provinces du Xinjang, de Hunan, Qinghai ou du Gansu… Et voilà que ces amis de l’éphémère cessent soudain de clavoter, à n’en pas croire leur écran, Omar devient alors, pour quelques fractions de temps comptées en miǎo ou en Fēnzhōng, au pays de la sagesse immortelle, un héros qui fait briller ce petit bout de Corne perdu dans cet autre vaste continent.
[style_image width= »620″ image= »https://www.coubeche.com/wp-content/uploads/2015/08/Mont-sacré-Tai.jpg » url= »https://www.coubeche.com/wp-content/uploads/2015/08/Mont-sacré-Tai.jpg » border= »no » lightbox= »yes » fade= »yes »]Mont sacré « Tai », province de Shandong