C’est la rentrée
Il nous reste encore quelques souvenirs d’air frais tapissant l’antre de nos poitrines d’un baume glacé, du vent mugissant l’orage ténébreux et colérique, de scènes de pluie fouettant les feuilles des arbres verts, du pétrichor qui s’exhale de la terre humide comme un musc rare, les brumes matinales qu’on avale par franches goulées. Ces douceurs exotiques, arrachées à ces pays froids et lointains et qui traînent encore au fond du havresac de nos dernières vacances, se sont subitement envolées, dématérialisées, évaporées dès notre arrivée sous forme d’impact météorique dans l’un des endroits les plus chauds du globe. Djibouti est assommée plus de la moitié de l’an par une chaleur endémique, ce n’est pas un secret. C’est un climat qui vous rabote l’âme jusqu’à la mettre à nue, les artifices de l’apparat y perdent leurs vertus, les vanités s’y abîment pour ne laisser à l’homme que les oripeaux de la décence. A Djibouti, par le dépouillement qu’il impose naturellement aux créatures qui s’acharnent à y séjourner, on devient ce que l’on est réellement. C’est une glace où se mire le portrait sans fard de notre moi qui perd soudainement de sa grandiloquence de théâtre ; Djibouti, ce n’est pas une scène, ce sont les coulisses d’une sorte d’enfer paradisiaque, l’antichambre entre deux états seconds, c’est le lieu idéal pour distiller notre essence humaine qui se transforme avec le temps en un précieux concentré ectoplasmique vaporeux, de nature anophtalme, imperturbable aux effets d’optique, le racolage de l’ostentatoire, mais hypersensible aux moindres perturbations d’ambiance. Quiconque passe le cap d’années longues dans ce pays se transforme soit en un yogi impassible méditant sur un tas de braises soit en un écorché vif que rien n’apaise. Djibouti est un laboratoire de consciences humaines, un benchmark pour les cerveaux proche de la fusion.
Lorsque, pour chacun de mes quatre enfants scolarisés dans une école privée, l’on me remet la liste des fournitures scolaires m’enjoignant de choisir telle ou telle marque sur certains articles obligatoires qui constituent la panoplie de l’écolier modèle, je dois contenir quelques secondes de micro fureur passagère avant de me rabrouer intérieurement, pointant un index solennel sur mon âme déjà contrite , réprimant sa ladrerie maladive, l’abjurant de respecter scrupuleusement l’ordonnance pédagogique pour le plus grand bien de ma progéniture qui, elle-même, souffrira de venir en classe avec du matériel étalant ostensiblement, sur le pupitre d’écolier sentant la bakélite vernie, ses origines au rabais.
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Ce n’est pas moi qui vais vers la toile…
Pourtant, lorsque je vois une différence de prix montagneuse entre deux articles de marque différente mais d’apparence identique, je ne peux que replonger dans une coupable interrogation quant à la pertinence de l’injonction magistrale gravée dans les tables de la loi : « et le meilleur matériel, tu achèteras ! ». Prenons un exemple : le fameux paquet de feuilles à dessin « Casino » affiche un prix de 350 DJF, son concurrent de la glorieuse marque que tout disciple des beaux-arts connaît coûte entre 3 et 4 fois plus cher. Il n’est pas ici question de remettre en doute la qualité intrinsèque des produits du roi de la cellulose, mais il nous est quand même permis de remarquer qu’un bambin de 4 ou 5 ans n’ira jamais se plaindre des défauts imperceptibles qu’on pourrait trouver dans la finesse du grain de cette feuille de bristol blanchâtre, ni afficher une moue de déplaisir en palpant le modelé de sa texture ou les grossières aspérités de son relief dès lors que notre Picasso miniature, à grands coups de brosses épileptiques, nous ferait part de ses dérives artistiques au pinceau gouache. Et comme le montre le documentaire sur l’artiste Juan Romano Ceacalescu, l’oeuvre créatrice n’est pas subordonnée à la qualité du support… Autrement dit, la matière première, même la plus vile qui soit, est transcendée par l’acte créatif du maître.
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Le juste prix
On peut néanmoins s’étonner sur la réalité marchande de certains produits à la griffe superbe et se poser les bonnes questions au juste prix : pourquoi sont-il si chers ? Pour quelles saines raisons achèterais-je un paquet de feutres ou de crayons de couleur – hautement consommables et au label imposant – au double voire au triple du prix proposé par une simple marque de supermarché ?
Il fut une époque où je plongeais dans une furieuse irritabilité en constatant les désagréables méthodes des fabricants de cartouches d’encre pour imprimante. Mon écran ordonnait un : « veuillez changer immédiatement votre cartouche comme indiqué » alors que le réservoir d’encre incriminé était loin d’être à sec… J’ai su plus tard qu’il s’agissait d’une pure arnaque commerciale entendue par l’ensemble des fabricants, tolérée par tous les consommateurs lassés de chercher l’introuvable substitut, ce générique sans puce de contrôle. Ceci-dit, je n’irais pas jusqu’à acheter un cahier de 96 pages au papier aussi fin que le Riz-la-croix pour cigarettes à rouler à se faire transpercer dès le premier coup de mine, non, mais j’irais quand même tâter par moi-même la qualité de la marchandise et me faire à l’idée. En « palpant » la plupart des produits « Casino » je constate que ces derniers sont de bonne facture, les différences que l’on pourrait constater envers leurs pendants de marque se restreignent le plus souvent à la qualité de l’emballage, aux effets superflus : matière pliable et « incassable » (quand il s’agit de règle à mesurer), et à d’autres options que l’on pourrait qualifier d’inutiles comme la décoration extérieure, une sérigraphie arborant les « héros » du moment…
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La meilleure façon de marcher
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La seule durabilité que l’on devrait imposer aux matériels de classe est celle justement d’un cycle scolaire soit 9 mois et, puisqu’il est d’usage de renouveler les fournitures à chaque rentrée, tenons-nous en donc à cette durée de vie. Si le produit, quelque soit sa marque, « tient la route » jusque là, il est bon pour moi et finira au fond du cartable déjà lourd comme un cheval mort. Depuis que le supermarché Casino (et par là, Cash Center qui sert aussi de point de vente avec un service à la « carte ») nous offre ses fournitures scolaires en modérant ses prix, je vois ma facture réduite d’un tiers et je constate que leurs produits, malgré les mauvais traitements que leur infligent chaque jour nos enfants en pleine turbulence, assurent avec efficacité leur office.
Le soleil étant particulièrement teigneux par ici, je suis devenu un peu comme lui… Je reste implacable dès qu’il s’agit de vérifier ma monnaie ou mon ticket de caisse, la moindre erreur d’entrée : indignation et remontrances ; une promotion oubliée : le début d’un scandale à la caisse ! La rentrée, il n’y pas de petites économies, il y a surtout de grosses dépenses, mieux vaut rester vigilant et ne pas se laisser enivrer par l’appel sirupeux des réclames, qui n’ont, en général, qu’une seule et véritable vertu : rehausser un prestige commercial en berne.