L’article suivant est le copié-collé d’un texte qui vient juste d’être diffusé sur l’ensemble des réseaux sociaux. « Je suis atomisé … A vrai dire, j’aurais préféré entendre qu’une météorite vienne juste de s’écraser sur mon ranch et réduire en cendre toute ma collection de Ferrari et de tableaux plutôt que d’apprendre ça ! » aurait déclaré très tôt ce matin le CEO de « The Coca-Cola Company ». Pour l’heure, la presse officielle tente de confirmer les faits de l’extravagant récit de l’ex-employé chimiste de Coca-Cola. L’on attend la réaction du géant d’Atlanta qui s’apprête à déployer l’une des plus titanesques machines de guerre judiciaire. On pense en effet que les pertes financières pour Coca seront incalculables.
« Ingénieur chimiste pour la compagnie Kopan & Step corp, la seule firme autorisée aux Etats-Unis à importer la feuille de Coca pour l’industrie pharmaceutique et … Coca-Cola. Mon département s’était justement spécialisé à extraire la saveur amère des feuilles de Coca péruvien et d’en éliminer complètement la teneur en méthyle-benzoyl-ecgonine et les alcaloïdes tropaniques. On pouvait dire que cela roulait pas mal pour moi et les perspectives d’avenir s’annonçaient encourageantes. Au labo, j’étais même un peu le chouchou de notre directeur, le docteur H, qui pouvait compter sur mon imperturbable dévouement dans les moments pénibles et me laissait même, à nos brefs instants d’inoccupation, réaliser quelques tests personnels, des extras dont j’étais le seul à profiter, plus ou moins ouvertement, pour augmenter substantiellement un revenu mensuel honnête.
Ma vie aurait pu suivre cette voie tracée par les tests en batterie, jalonnée d’une succession de tubes à essais, éprouvée par les émanations vaporeuses et solutés de nos préparations chimiques, attendant placidement le passage aux échelons supérieurs de la hiérarchie ou, plus glorieusement, la poignée de main flasque ponctuellement assenée chaque année au meilleur employé de la saison par le grand timonier de notre entreprise, maison de taille modeste mais qui jouissait du privilège d’être unique en son genre. Mais non, j’avais probablement hérité d’une tare dans mes gènes : celle de la dévorante et capricieuse ambition qui m’interdisait tout atermoiement flegmatique quant à l’inéluctable accomplissement d’une destinée que j’imaginais, à l’orée d’une jeunesse éternelle, extraordinaire.
Et cette métamorphose ne pouvait se réaliser qu’au Saint des saints de tous les labos que nous connaissions. Travailler pour la section « recherche & développement » de Coca-Cola représentait d’abord pour notre quarteron d’ambitieux ingénieurs, l’évidente reconnaissance de notre talent et le début d’un état de grâce financier. « La Firme », car c’est ainsi que nous la nommions, n’acceptait en réalité que peu d’élus. Le labo où se préparait LA solution secrète, le fameux « Seven X », était le sujet de conversation qui revenait sur le tapis de nos vagues moments de dilettante : à peine 500 mètres et une enceinte de haute sécurité séparaient nos deux bâtiments. Ma Compagnie, autrefois basée à Los Angeles et par l’habile volonté de son PDG, s’était donc rapprochée de son client le plus éminent. Le Labo où macérait toutes nos convoitises nous narguait du haut de sa tour et nous le lorgnons du bas de nos capricieuses envies.
Nous représentions néanmoins, pour The Coca-Cola Company, un maillon extrêmement important dans la délicate chaîne du processus ultime de fabrication. Nous leur apportions certes un élément indispensable, la saveur amère si caractéristique, mais il y avait ce concentré spécial d’huiles essentielles introuvables sur le marché commun et le dernier des laborantins, même stagiaire à nettoyer la verrerie ou changer les filtres de la hotte aspirante, connaissait parfaitement la difficulté ne serait-ce que pour engendrer la délicate réaction chimique entre l’eau et l’huile et créer une émulsion parfaitement homogène sans risquer de trouver, au repos, une boisson « composite », présentant des strates de matières douteuses, tel le simple soda de basse extraction oublié une seule journée à l’air libre et dont il aurait fallu secouer vigoureusement l’enveloppe plastique pour lui redonner l’aspect du correctement comestible. Le laboratoire R&D de Coca détenait en réalité toutes les clés du savoir, lui seul connaissait le secret de la pierre philosophale. Oui, pour nos consciences avides de gloriole impétueuse et de richesse spontanée, Coca-Coca était le seul véritable ascenseur pour atteindre notre nirvana social.
[style_image width= »620″ image= »https://www.coubeche.com/wp-content/uploads/2015/03/chromato-machine.jpg » url= »https://www.coubeche.com/wp-content/uploads/2015/03/chromato-machine.jpg » alt= »chromato machine » width= »620″ class= »aligncenter size-full wp-image-11803″ border= »no » lightbox= »yes » fade= »yes »]
Devenir, au sein de ma petite équipe, un expert dans l’usage et occasionnellement le dépannage du Chromatographe était l’un des moyens de parvenir, le moment opportun, à postuler au Labo des labos. On pouvait même affirmer que la plupart des tâches sur cet appareil m’étaient entièrement dévolues. Le Docteur H. avait édité une note interdisant aux autres personnels de notre section d’utiliser la machine sans mon accord préalable et sous certaines restrictions. A vrai dire, c’était quasiment superflu ; les autres gars du centre détestaient la fastidieuse procédure des méthodes d’analyse pour identifier et quantifier chaque substance présente dans un échantillon dans sa phase liquide ou gazeux. Il y avait aussi les plantages récurrents du logiciel qui pilotait le sensible appareil de mesure et où, à force de tâtonnements empiriques, j’étais devenu l’un des rares déboggueurs officiel chez Kopan & Step. Cette dernière compétence fut ma porte de sortie. Ces connaissances astucieusement acquises me permirent le fameux sésame d’entrée dans la « Firme ».
Plongé dans l’élaboration d’un concentré soluté, le Docteur H. perturba cette apnée laborieuse comme un geôlier ouvrant les portes d’un cachot. Il était accompagné d’un gars en costumé noir et paire de lunettes aux verres doublement fumés lui cachant la moitié de la face, une de ces têtes d’agent spéciaux à vous donner une grosse tachycardie et n’eût été son badge « The Coca-Cola Company » ostensiblement superposé au simple carton visiteur de notre labo, je l’aurais probablement pris pour un flic du FBI venu enquêter sur mes petites combines d’analyse pour le webmagazine écolo toujours fauché mais désireux d’informer scientifiquement ses lecteurs consommateurs sur le dernier biscuit frelaté importé de je ne sais où et contenant des matières soit disant alimentaires et sûrement pas très digestibles …
« K. Je te présente Monsieur O. Il est en charge de la sécurité au département R&D de chez Coca. Ils ont un problème actuellement sur leur chromatographe, leur technicien a eu un accident de la route, l’autre forme des gars en Asie, ça urge donc, mais ton nom est sur toutes les lèvres des laborantins de chez eux « Le roi du Chromato » c’est toi … notre grand patron est ravi de pouvoir leur donner un coup de main, tu dois juste signer cet accord, à cause du très haut niveau de sécurité mais tu verras, c’est que du blabla d’avocats, j’ai mis doublement ma signature, tu as toute notre confiance … Tu suis donc Monsieur O. et il te fait entrer directement dans le tabernacle … et ramène nous ensuite du Coca bien frais … pas celui de la pompe ! ».
Je n’ai pas eu le temps de répondre quoi que ce soit, juste donné l’ordre au stagiaire de sauvegarder les analyses en cours et de ne toucher à rien d’autre. C’était effectivement le moment, de ces instants où tout va se jouer, gare de triage momentanément à l’arrêt, il faudra alors monter dans le bon wagon sous peine de rester définitivement à quai.
[style_image width= »620″ image= »https://www.coubeche.com/wp-content/uploads/2015/03/seven-X2.png » url= »https://www.coubeche.com/wp-content/uploads/2015/03/seven-X2.png » alt= »seven X2″ width= »620″ class= »aligncenter size-full wp-image-11797″ border= »no » lightbox= »yes » fade= »yes »]
J’ai volontairement passé du temps à vous expliquer mon arrière plan professionnel car la suite, au moyen d’une vertigineuse ellipse, serait tout bonnement incompréhensible.
Plusieurs années se sont écoulées dans le grand sablier du temps qui passe, je suis maintenant l’un des bras droit du gardien du temple à Coca-Cola en tant que chef du laboratoire de la division « Recherche et développement », un poste à légende. Mais la légende veut surtout que seuls les deux plus hauts responsables de The Coca-Cola Company connaissent la formule secrète. Rien n’est plus faux aujourd’hui. J’en suis le troisième dépositaire et nul encore ne le sait. Je n’ai pas eu accès au Vault, l’endroit le plus sécurisé peut être sur terre qui contient la formule actuelle, ni fait chanter l’un des deux pontes surpris en train de boire goulûment une canette de Pepsi camouflée en boîte de Coca lors du 125e anniversaire de la Firme, ni même encore utilisé toutes mes techniques en spectrographie et chromatographie de mon labo high-tech pour connaître la parfaite composition et l’exacte proportion du fameux « 7X », les sept ingrédients naturels secrets achetés aux quatre bouts du monde. Non. Je suis devenu le troisième dépositaire de la formule Coca juste en allant boire un Coke « custom » chez L. Ravi Mehta Modi, le chef du département import-achat, un ami de cafétéria et le seul à posséder, dans son bureau, une machine expérimentale qui produit du Coca personnalisé.
D’abord chez lui, dans son bureau, c’est porte blindée et accès par badge sécurisé. Mais entre directeurs de département, on a droit à quelques politesses mutuelles. Quand il vient chez moi, je lui offre gâteaux faits maison et un vrai café grâce à une Lavazza 40 bar récupérée chez un cafetier à la ruine. Lorsque je pars chez lui, je « teste » sa machine à Coke. C’est une sorte de distributeur à boissons classique hormis l’nterface de paramétrage où l’on peut doser les arômes « Cocas » ainsi que le sucre et la teneur en gaz … On y met 1 dollar, un gobelet tombe, ça fait un grand psssssssssshhhhhh et l’on savoure sa propre version de « Coca-Cola ». Personnellement, j’ajoute toujours plus d’arôme, moins de gaz et comme dans le café, une pointe de sucre : ma préparation est quasi magique et j’ai souvent pensé à la proposer au service marketing pour augmenter la gamme de nos nouveaux produits.
[style_image width= »620″ image= »https://www.coubeche.com/wp-content/uploads/2015/03/coke-recipe.jpg » url= »https://www.coubeche.com/wp-content/uploads/2015/03/coke-recipe.jpg » alt= »coke-recipe » width= »620″ class= »aligncenter size-full wp-image-11798″ border= »no » lightbox= »yes » fade= »yes »]
L’autre truc à L. Ravi c’est de passer énormément de temps au téléphone. Un grand numéro de jonglerie : il doit courir derrière ses innombrables fournisseurs répartis sur toute la planète et expliquer les retards de livraison à la production qui ira quand même se plaindre à la grande direction. Et lorsqu’il téléphone, il a ce tic courant chez pas mal de gens, gribouiller une feuille, y faire des petits dessins idiots … et il y a toujours un paquet de feuilles sur son bureau. Ce sont des imprimés ratés : le papier qui passe de travers dans l’imprimante et hop, le texte n’est plus à l’équerre avec le logo. Si à Coca on a la manie de la perfection, on est sensibilisé dès l’entrée à l’économie durable ; jeter une feuille de papier à la poubelle est inconcevable. Alors L. Ravi, à chaque fois qu’une feuille passe de traviole, il la place dans une pile, la « trash tower » qui lui sert occasionnellement de bloc-note. Et moi, lorsque L. Ravi est au téléphone et me demande d’un geste de la main de m’asseoir et patienter, j’ai aussi un tic personnel : lire tout ce qui traîne … Un bout de brochure déchirée, une feuille de journal à la date périmée … Si tout a été usé par mes yeux, je prends deux ou trois feuilles de la pile de L. Ravi et, entre deux gorgées de mon « custom Coca », je lis, déchiffre … Et il fallait qu’un jour je tombe sur un récapitulatif de tous les ingrédients à l’import pour la fabrication des fameux arômes secrets … Huile essentielle de Cannelle de Chine, Huile essentielle de Lavande d’Espagne, Muscade des îles Banda, Huile essentielle de Coriandre, de Néroli, de Citron vert, d’Orange amère … Il y avait même inscrit sous chaque libellé le volume annuel correspondant à la fabrication du fameux Seven X millésimé. En trois opérations de calculette scientifique, je détenais l’exacte combinaison de l’élément ultra secret du produit le plus connu et le plus vendu dans le monde. Ce bout de papier de la « tour poubelle » valait 50 milliards de dollars et L. Ravi s’amusait à écrire des trucs inutiles dessus …
1Er avril 2015, je vais perdre sans doute ma place de directeur « R&D at The Coca-Cola Company » mais attendez-vous à un tsunami internet. J’ai mis en ligne, sur Ebay, la feuille de L. Ravi. »